Recherche Lymphome et Coronavirus

Quand la recherche scientifique sur les lymphomes peut être appliquée au COVID19…

L’équipe de de Jean Feuillard à Limoges est spécialisée sur le système immunitaire, leurs travaux de recherche habituellement sur les lymphomes, ont durant le mois de mai 2020 été appliqués au COVID19 grâce au lancement d’une étude dédiée.

  • COVID19 et système immunitaire, pourquoi avoir lancé une étude sur le sujet ?

La COVID-19 est associée à une lymphopénie marquée, corrélée avec la morbidité et la mortalité (les mots en gras sont définis dans le lexique à la fin de l’interview). La lymphopénie correspond à une diminution du nombre les lymphocytes T (une population composant les globules blancs ou leucocytes) qui sont des acteurs majeurs de la réponse immunitaire, notre système de défense contre les agressions par des virus ou des bactéries. Très peu d’études ont caractérisé les conséquences de cette infection sur les différents sous types de leucocytes. ”

  • Comment les recherches scientifiques menées au sein de CALYM et sur les lymphomes vous ont permis plus généralement de lancer cette étude sur le COVID19 ?

Avec le développement de l’immunothérapie dans le traitement de nombreux cancers nous avons dernièrement orienté nos recherches sur la relation hôte-lymphome et essayé de caractériser les différentes populations du système immunitaire qui pourraient être impliquées dans le développement de ce dernier. Nous collaborons aussi depuis de nombreuses années avec le service de Réanimation du CHU de Limoges avec lequel nous essayons de caractériser les bouleversements hématologiques survenant au cours d’un sepsis. Avec la pandémie, la mise en commun de nos compétences nous a paru évidente. Nous présentons ici la première étude avec un suivi au cours du temps de ces sous-types leucocytaires sanguins et les modifications fonctionnelles en rapport. Pour ce travail, le CIC INSERM 1435 et l’équipe 2 de l’UMR CNRS 7276/INSERM 1262 se sont associés pour étudier très en détail les effets du virus SARS-Cov-2 sur le système immunitaire des patients en détresse respiratoire admis en réanimation, avec le soutien logistique du service de réanimation et des laboratoires d’hématologie et de bactériologie-virologie hygiène du CHU de Limoges pour l’inclusion et le suivi des patients, la cytométrie en flux et les charges virales.

  • Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le déroulement de l’étude ?

Nous avons recruté et suivi pendant leur première semaine 13 patients infectés par le SARS-CoV-2 admis en unité de soins intensifs et comparé leurs résultats immunologiques à 10 témoins. Les patients présentaient uniformément une lymphopénie profonde globale et persistante jusqu’au 7ème jour, touchant tous les sous-types lymphocytaires. Le nombre absolu médian de lymphocytes était considérablement diminué avec par exemple des taux de lymphocytes TCD4 en moyenne à 0,29 [0,19-0,43] G/L qui reflètent une immunosuppression profonde comme chez les patients infectés par le VIH.

  • Quels sont les premières observations que vous avez pu faire ?

Nous avons principalement utilisé la cytométrie en flux pour obtenir nos résultats. Nous avons pu caractériser les principales populations de cellules impliquées dans la réponse immunitaire anti-virale, phénotypiquement puis, pour certaine, fonctionnellement suite à des stimulations des lymphocytes in-vitro.

Nous avons mis en évidence que les deux principales sous-populations de Lymphocytes T qui sont les CD4 et les CD8 exprimaient des marques d’activation et d’épuisement au cours du temps (augmentation de l’expression de CTLA-4 et PD-1). Une évaluation fonctionnelle des lymphocytes T a été réalisée chez 3 patients et 3 témoins pour comparaison. Nous avons mis en évidence que les Lymphocytes T CD4 des patients COVID-19 produisaient moins de cytokines pro-inflammatoires indiquant un processus d’épuisement des T CD4. En revanche, le peu de cellules T CD8 restantes étaient probablement engagées dans une réponse immunitaire antivirale puisqu’elles étaient capables de produire des niveaux plus élevés d’IFN-γ et de TNF-α. En cohérence, les pourcentages de cellules T CD4 effectrices étaient diminués alors que ceux des cellules T CD8 mémoires effectrices et activées étaient augmentés.

Nous avons aussi observé la mise en place d’une immunosuppression globale avec l’augmentation dans le sang périphérique de différents types cellulaires connus pour jouer un rôle de régulateur de l’inflammation, comme les T régulateurs. Les monocytes n’exprimaient plus le HLA-DR qui active normalement la réponse immune en présentant l’antigène au lymphocyte T. Leur fonction de cellule présentatrice d’antigène était donc diminuée. De plus l’expression de la molécule immunosuppressive PD-L1 à leur surface suggère même qu’ils inhibaient la réponse lymphocytaire T.

Les cytokines étant des indicateurs de l’inflammation mais aussi des dommages que peuvent subir les organes, ici le poumon, nous avons déterminé leurs concentrations sanguines. Les taux d’IL-6 et d’IL-88 étaient modérément mais significativement et durablement augmentés au fil du temps alors que les taux de TNF-a et IL-1b8 étaient normaux, reflétant une réponse inflammatoire modérée et subaiguë13 des cellules immunitaires innées liée au SARS-CoV-2.

  • Quels sont les résultats à l’heure actuelle ?

Nos résultats, parmi les tous premiers publiés, ont ensuite été confirmés par des études sur de plus grandes cohortes ou utilisant des technologies de cytométrie de masse ou de single cells (Hadjadj et al., Science 10.1126/science.abc6027 ; Silvin et al., Cell 10.1016/j.cell.2020.08.002 ; Mathew et al., Science 10.1126/science.abc8511).  Ils suggèrent fortement que le virus a un effet dévastateur multifactoriel en entraînant une forte diminution de pratiquement toutes les classes de cellules immunitaires adaptatives (acquises) et une augmentation des mécanismes d’immunosuppression des lymphocytes T chez les patients COVID-19 en un état critique. Puisque les cellules T sont essentielles à la clairance définitive du virus, ces résultats remettent en question les thérapies (par exemple, les anti-IL-6, les inhibiteurs JAK) qui ont pour effet de bloquer la capacité du patient à monter une réponse immunitaire efficace contre le SARS-CoV-2. Sachant que tous les traitements anti-inflammatoires ont constamment échoué dans les cas de sepsis15, il semble opportun d’envisager au contraire des traitements qui renforcent l’immunité de l’hôte dans certains cas spécifiques comme chez ces patients COVID-19 extrêmement lymphopéniques1 (par exemple, IL-7, IFN-γ ou inhibiteurs des points de contrôle).

  • Pensez-vous continuer de transférer les compétences de votre laboratoire sur la thématique COVID-19  ?

Le centre principal d’intérêt de notre laboratoire est la compréhension des mécanismes impliquées dans la lymphomagénèse B. Or les lymphocytes B ont un rôle très important dans la réponse anti-virale avec la production d’anticorps. Avec Michel Cogné, nous avons mis en place en Juillet une collaboration avec l’équipe de Karine Tarte et Mikael Roussel à Rennes et celle de Guillaume Monneret à Lyon sur l’étude du répertoire des gènes des immunoglobulines par séquençage haut débit couplé à une étude par CMF des sous populations lymphocytaires B au décours de l’infection par le SARS-CoV2 chez les patients hospitalisés en service de réanimation médicale. L’analyse des résultats est en cours de finalisation, mais déjà, nous savons qu’il y a une restriction de la diversité clonale avec l’émergence de clonotypes vraisemblablement spécifiques. Ce travail pourrait ouvrir des perspectives très intéressantes pour la reconnaissance des anticorps dominants dans la réponse contre ce virus.

Nom Définition
Lymphopénie

nombre anormalement faible de lymphocytes (un type de globules blancs) dans le sang (< 1500/mm3 chez l’adulte)

Morbidité

nombre de personnes malades ou le nombre de cas de maladies dans une population déterminée, à un moment donné

Cytométrie en flux

technique de comptage et de de mesure des propriétés des cellules

Charges virales

quantité de virus présent dans le sang circulant

Immunosuppression

insuffisance des moyens de défense naturels de l’organisme

CTLA-4 et PD-1

Récepteur inhibiteur des lymphocytes T.

Pour plus de définition consulter les références suivantes : P Vuagnat et al. Décembre 2018. Immunothérapies anti-checkpoints : aspects fondamentaux. JNDES

? aller plus loin

 

Evaluation fonctionnelle

Ensemble de techniques permettant de confirmer ou non le bon fonctionnement des lymphocytes T (par exemple : destruction des cellules, production de messagers du système immunitaire : cytokines)

Cytokines pro-inflammatoire 

activent la réaction inflammatoire de l’organisme.

? aller plus loin 

IFN-γ

cytokines produits uniquement par des cellules immunitaires dans le cas de la réponse immunitaire adaptive (acquise)

TNF-alpha

cytokine qui joue un rôle clé dans la réaction inflammatoire aigüe (fièvre, synthèse des protéines de l’inflammation, recrutement des cellules immunitaires)

Cellules TCD4 effectrices

lymphocyte T est « naïf » jusqu’à la reconnaissance d’un antigène. Suite à cette stimulation, il deviendra donc une cellule « effectrice » et pourra ainsi assurer des fonctions spécialisées (per ex : sécrétion de cytokines, mort cellulaire via LT CD8+)

Microenvironnement tumoral

Bruchard et al. 2014. Microenvironnement tumoral : Cellules régulatrices et cytokines immunosuppressives. Med Sci (Paris) 2014 ; 30 : 429–435

Subaiguë

de faible intensité mais se prolongent et ne s’atténuent que faiblement

Clairance

aptitude à éliminer une substance déterminée.

Sepsis

réponse inflammatoire généralisée associée à une infection grave